Lundi 3 février : Vorspiel opus 1, 2, 3

Lundi 3 février, Le Pacifique CDC
Vorspiel opus 1, 2, 3
Cie l'Anthracite.

On rend à Lambda le talon de son ticket.
Il sourit.
Pantalon violet, veste rouge, œil neuf et cœur naïf, c’est son premier spectacle de danse.
Il passe la porte de la grande salle et, comme tous, va s’asseoir sur les chaises…disposées sur scène. Ses repères vacillent un peu mais il réajuste rapidement son assise, se dessine un sourire d’habitué et attend que ça commence. Il observe. En face, d’autres spectateurs. Entre eux et lui : un large espace, deux rouleaux de caoutchouc mi-déroulés, un bac de poudre blanche, des partitions au mur …Entre eux et lui : le temps d’une gêne, un silence à prendre, un vide à combler…
Il tousse. Ça remplit un peu.

Ça commence !
Un homme et une femme : dos droits, pas de costume, chemise et polo, short et pantalon. Lambda, attentif, écoute, jusqu’au silence des pas et jusqu’au chuintement des corps. Il observe, l’homme, il observe, la femme. Leurs yeux ne disent rien et ne se disent rien. Il y a un homme, il y a une femme, on bannit le « et ». Ils palabrent dans leur coin, bouche fermée. Seuls les corps bavardent, sans crier : ils parlent juste pour eux, mais à l’oreille du public. Les gestes sont fermés, les membres jamais tendus, c’est le dedans qui murmure : un langage inconnu. Ils parlent lentement, on peut voir toutes les lettres. Mais sans dictionnaire, Lambda oublie de comprendre et se laisse onduler. Parfois, un violon chantonne. C’est le dernier coup de pinceau sur les yeux, celui qui vous plonge dans l’autre et qui vous colorie le regard. À Lambda, la couleur lui plaît, elle est calme et sereine. La vague l’emmène, tantôt repart, puis revient le prendre.
Mais, à trop les regarder, ces deux là, Lambda se couvre d’une légère teinte amère : ils sont si proches de lui, si loin d’eux-mêmes…
Ils sortent, le public aussi, Lambda suit le mouvement.

C’est une œuvre en trois opus, et deux entractes. Ça laisse le temps de digérer, de se défaire du surplus. Un temps pour garder l’essentiel.

Deuxième opus, une nouvelle entrée pour un nouvel espace. Les chaises ont disparu.
Et ma veste ? Il hausse l’épaule et, comme tous, rentre en scène. Il s’installe debout, en bordure, le long d’un des quatre murs. Etrange…
Au milieu, tout a changé, il y a des projecteurs et une sorte de table de psychanalyste ; d’un côté, l’homme, de l’autre, la femme.
Une speakerine fait son entrée, micro en main. Lambda n’y comprend rien, à son discours hermétique : elle marie des mots voués au divorce. Il parvient à en glaner quelques uns, et se laisse marquer par le ton. Ça parle de naissance, d’enfance, de mère. Lambda est encore d’humeur gaie, il sourit, au début…L’espace est plus habités, plus parcouru, plus sombre aussi. Imperceptiblement, la couleur change… Ça pleure en sourdine. Le rythme scande un mal être, des mots lui rentrent en tête et les corps se convulsent devant lui. Rien d’exubérant, aucun geste ne dépasse, dos rond, membres en torsion, tout est retenu, rien n’est libéré. Des corps en cage dans une sombre musique festive. Lambda, ça lui bourdonne à l’intérieur, ça l’enferme dans son enveloppe, et ça lui érafle le cœur, cette violence indifférente.
Fin du deuxième opus. Ils sortent. Le public sort.

Dernier entracte. Lambda cherche à créer des liens, il esquisse des cohérences logiques, puis finit par abandonner. Sa tête se tait, ses yeux gardent la teinture finale, âpre et mordante.

Dernière entrée. Cette fois, on laisse les gradins au public.
Lambda retrouve sa veste.
En face de lui, le plateau, en pleine lumière. L’homme dans un coin, la femme dans l’autre. En silence, quelqu’un dispose un chemin de dalles noires, branlantes. Une perspective qui mène droit au mur. Un trompettiste, en blanc, allège l’atmosphère. L’homme, la femme, chacun danse. Tout est en dedans, encore, mais les gestes sont plus prestes, ils glissent, sans cassure. Les corps roulent leurs articulations, les membres marquent la mesure en rondeurs et rebonds. Toujours lui pour lui, elle pour elle.
Enfin, leurs regards se croisent. Imperceptiblement, puis suavement, les corps respirent puis battent à l’unisson, ou presque…
Soudain, ils sortent.<
Sur scène restent des dalles noires, des bouts de caoutchouc et trois tiges de ferrailles.
On applaudit. Personne ne vient saluer. Lambda est intrigué. Il reste assis, un peu, puis hausse l’épaule et sort.

Ce soir, on lui a froissé sa logique, on a rompu ses codes. C’est difficile, de ne pas comprendre. Mais sur les yeux, on lui a peint une nouvelle couleur. Et s’il ferme le regard, qu’il éteint les images, il semblerait que son corps, lui aussi, se souvient.
Pantalon violet, veste rouge, œil plissé et cœur curieux, Lambda reviendra demain.

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